DE
PONTMAIN
C'était en plein hiver, c'était en pleine
guerre. Les troupes de Guillaume 1er, roi
de Prusse, ne cessent de l'emporter sur
celles de Napoléon III ; le 19 septembre
1870, elles ont commencé le siège de
Paris ; le 12 janvier 1871, elles sont
entrées au Mans ; progressant vers l'ouest,
elles sont aussi entrées en Mayenne.
Le 17 janvier, une pointe avancée prussienne arrive aux portes de Laval. Parmi
les soldats français règnent le désordre et
la panique. Dans les campagnes, les paysans cachent ce qu'ils ont : argent, linge et
nourriture. Aux misères de la guerre s'ajoute une épidémie de fièvre thyphoïde et de
variole.
Le dimanche 15 janvier, après les Vêpres, le curé avait entonné comme de coutume le cantique de Saint-Brieuc : « Mère de l'Espérance dont le nom est si doux protégez notre France, priez, priez pour nous»,
II s'était retrouvé seul à chanter. Se
retournant, il avait exhorté ses paroissiens.
Alors ils chantèrent mais en pleurant.
Ce mardi, 17 janvier, on demeurait dans l'inquiétude, la désolation. II fait froid. La neige couvre le sol et les toits. Le ciel est pur quand vient la nuit toute constellée.
A ce moment, Eugène va dehors guettant le retour de l'aurore boréale qu'il a vue le 11 janvier, mais c'est autre
chose qu'il aperçoit, à vingt pieds au-dessus de la maison Guidecoq. " Qu'c'est
beau ! ", dira-t-il dans un instant : une Dame vêtue d'une robe bleu sombre, parsemée d'étoiles comme la voûte de l'église.
Un voile de deuil encadre son visage fin et
jeune. Elle porte une couronne d'or marquée d'un liseré rouge à mi-hauteur. Elle
sourit et tend les mains vers l'enfant. Un
instant effrayé, Eugène est vite captivé par
le tendre regard de cette Dame qu'il
contemple en silence.
Jeanne Destais ne voit rien, le père non
plus ; mais Joseph, sorti avec eux, voit
bien, lui ; et il fait la même description que
son frère.
C'est ainsi : ni Victoire, la mère, ni les
Soeurs Vitaline et Marie-Edouard, ni même
l'Abbé Guérin, aucun adulte ne pourra voir
autre chose que les trois étoiles qui encadrent, en triangle, la tête et les bras de la
Dame. Mais plusieurs autres enfants ont
éclaté de joie en regardant le ciel.
Ainsi
Françoise Richer (11 ans) et Jeanne-Marie
Lebossé (9 ans) qui, avec les frères
Barbedette, forment le groupe des quatre
voyants officiellement reconnus.
Ainsi la
toute petite Augustine Boitin (25 mois) qui
battait des mains, Eugène Friteau (6 ans
et demi) illuminé de bonheur, bien que très
malade. Quant à Auguste Avice (4 ans), il
décrivit doucement la Dame à son père ;
ensuite, sur l'ordre de celui-ci, il garda le
silence. Plus tard, par trois fois et en particulier la veille de sa mort, il rompit ce
silence pour dire qu'il avait vu la Sainte
Vierge.
C'est elle, en effet, qui fut reconnue
lorsque les enfants épelèrent la dernière
partie du message écrit :
Ce qui se passa jusqu'à neuf heures
du soir est très précisément raconté
dans le premier tome de l'ouvrage dû
à R. Laurentin et A. Durand:" Un signe
dans le ciel".
Pour les faits, on peut, avec
un égal intérêt se reporter à l'abrégé où
R. Laurentin relate l'apparition.
Celle-ci demeure le sujet de maints récits,
maints commentaires oraux ou écrits, le sujet
d'études aussi. Et le dernier mot n'a sans
doute pas été dit encore. II s'agit de pénétrer
toujours plus avant dans l'intelligence de
l'événement et, pour ceux qui croient, dans
l'intelligence du signe et du message.
Et des enfants qui restent ainsi trois heures à prier, à s'exclamer en regardant le ciel, sans un instant de lassitude, ce n'est pas commun non plus.
Cela dit, on est frappé par la manière très
ordinaire dont s'est organisé le rassemblement : une nouvelle se répand de bouche à
oreille et les gens viennent voir, poussés
par une curiosité qui n'a rien de malsain.
Sur le terrain, ils s'informent, prient certains discutent, doutent, raillent. On sépare
les enfants pour être sûr qu'ils ne jouent pas au perroquet; on les reprend quand ce qu'ils disent n'est pas compris du premier coup. Eux gardent une belle assurance, et,
tout en s'exprimant dans leur patois habituel transmettent fermement ce qu'ils
voient, ce qu'ils lisent.
Ils restent spontanés, libres : ils sautent de joie quand la
Vierge, en souriant, rythme de ses doigts le
chant Mère de l'espérance.
« V'là qu' è rit...
V'là qu' è rit», répètent-ils. « Oh ! qu'elle
est belle», Ils réagissent comme tout
enfant passionné par un spectacle merveilleux.
Quant au terme de ce merveilleux entretien, il arrive au moment de la prière du soir, celle que l'on fait habituellement avant de s'en aller dormir. Alors un voile blanc monte lentement devant la Vierge et la cache progressivement. Ainsi prend-elle congé des paroissiens qui rentrent chez eux et passeront une nuit paisible.
Après le 20 janvier une dernière canonnade suscite un voeu à Notre-Dame d'Avesnières de Laval. Les troupes prussiennes se replient. Le 28 janvier l'armistice est signé. Les trente-huit soldats mobilisés dans la paroisse de Pontmain reviennent tous indemnes.
La reconnaissance l'emporte sur les scepticismes. La prière demandée par la Vierge continue, grandit. Les foules affluent. Les voyants, eux, sont interrogés, d'abord par le doyen de Landivy puis par une commission spéciale, enfin par l'évêque lui-même. Des médecins les examinent, au terme de l'enquête, le 2 février 1872, Monseigneur Wicart évêque de Laval, fait la déclaration suivante : « Nous jugeons que l'lmmaculée Vierge Marie, Mère de Dieu a véritablement apparu, le 17 janvier 1871, à Eugène Barbedette, Joseph Barbedette, Françoise Richer et Jeanne-Marie Lebossé, dans le hameau de Pontmain.» Evoquant alors l'armistice et les préliminaires de paix, il renvoie aux paroles inscrites dans le ciel
C'est en effet aux historiens et aux politiques qu'il revient de déceler les raisons qui ont motivé la cessation des hostilités.
N'empêche que les utilisations nationalistes de l'apparition n'ont pas manqué, entachant parfois I'immense courant de prière provoqué par la visite de Marie et pour ainsi dire préparé par la ferveur des paroissiens de l'Abbé Guérin.
Ce courant est toujours actuel. Les visiteurs s'arrêtent volontiers au seuil de la grange. Adossés à la porte, ils lèvent le regard au-dessus de la maison Guidecoq, à la hauteur de la balustrade du clocher ouest.
Avec les yeux de leur coeur, ils contemplent les phases de l'événement qu'ont raconté les enfants et qu'ils semblent incapables d'avoir inventé tant il dépassait leur imagination en splendeur et en délicatesse.
Il les dépassait également par sa richesse théologique, sa portée oecuménique, sa puissance spirituelle. Ces qualités-là se sont révélées, déployées au fil des ans. Le pèlerin lui-même peut en prendre une conscience de plus en plus vive en poursuivant sa route.
Le 16 septembre 2016